Gillian adorait son job. Pas parce qu'elle aimait servir des clients bourrés aux mains baladeuses mais parce qu'il lui permettait de chasser ses prochaines proies en toute discrétion. Elle n'était pas du genre barmaid compatissante et à l'écoute des clients en mal de compagnie, par contre elle aimait partager un verre avec eux, et parfois même plus, quand l'envie s'en faisait sentir. Elle se savait puissante, presque intouchable, alors elle n'hésitait jamais une seule seconde à jouer avec le feu. Et elle gagnait, à tous les coups. Ou tout du moins était-ce le cas avant qu'il ne débarque dans sa vie. Qui était ce "il" ? Elle n'en avait finalement pas la moindre idée. Il venait souvent au bar, partageait des tournées avec la jeune barmaid et il s'était installé entre eux une sorte de jeu "fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis" sans qu'elle ne sache réellement pour quelle raison les choses étaient différentes avec lui. Il n'était pas comme les autres, mais elle n'était toujours pas parvenue à comprendre ce qui le rendait différent des autres. « On ferme ! » Lança-t-elle d'une voix forte en faisant sonner la cloche qui traînait au bout du bar. Il était presque trois heure du matin et seuls quelques habitués étaient encore présents dans les lieux. Gillian les poussa donc vers la sortie, verrouillant la porte derrière eux avant de retourner derrière le bar pour nettoyer et ranger la vaisselle sale. Ce n'était pas la partie du travail qu'elle préférait, aussi avait-elle offert à son patron un lave-vaisselle flambant neuf le mois dernier. C'était aussi une des raisons qui faisait qu'il ne pouvait pas la virer, malgré son caractère de cochon et son insubordination permanente.

Elle revenait tout juste de l'arrière boutique quand elle vit une personne accouder au comptoir. Pas même un sursaut de surprise, elle vrilla simplement son regard dans celui du jeune homme. « On est fermés. » Lâcha-t-elle en attrapant un verre qu'elle rempli de whisky avant de le boire d'une seule gorgée. « Et on peut savoir comment tu es entré ? T'es une sorte de cambrioleur-braqueur-traqueur de barmaid ? » Demanda-t-elle alors d'une voix neutre en se réservant un verre sans pour autant le lui proposer. Lui c'était le "il" auquel elle pensait toute à l'heure. Ce n'était pas la première fois qu'il la surprenait en restant traîner dans le coin après la fermeture du bar. Elle ne comprenait pas bien ce qu'il lui voulait mais comptait bien le découvrir bientôt.

Surement que je suis con d'attendre, de prendre autant de temps pour pouvoir tuer une Sunrise. Je sais pas ce que je fous, mais c'est illogique. À quoi ça sert que je cherche à la comprendre ? À la connaître un minimum ? Ça va m'apporter que des emmerdes, mais pourtant je continue. Comme le mec entêté que je suis. J'en fais qu'à ma tête, ça a toujours été comme ça et ça le sera probablement toujours. Quitte à être stupide et prendre des risques, autant le faire bien. Et je ne sais même pas pourquoi elle m'intrigue autant. Surement parce que la plupart des Sunrise sont... comment dire ? Des êtres innocents qui demandent rien – oui, je sais, je les tue quand même, ça fait de moi un méchant vilain pas beau garçon, bouh -, mais elle, suffit de la voir. Elle hésite pas à tuer n'importe quelle personne qui se fout en travers de son chemin comme si c'était complètement normal de tuer des gens. Mais c'est vrai que même quand elle était à la base, elle était comme ça. Parmi les rebelles, je pense qu'elle fait partie de ceux qui l'étaient le plus. Je le sais, je l'observais, surement un peu plus que les autres. Contrairement aux autres, elle était rebelle, mais elle en devenait pas stupide. Certains essayaient de se rebeller tout seul, et ça se retournait contre eux. Stupidité affolante. Alors qu'elle, elle était rebelle, mais elle le criait pas haut et fort, ça se voyait, c'est clair et quand une personne la provoquait un peu trop, elle devenait une vraie peste hargneuse, mais sinon, elle affichait un sourire en coin, comme si elle avait toujours quelque chose en tête. Enfin bref. Je vois des gens sortir du bar, toujours les mêmes à chaque fois et elle ferme la porte. La verrouillant au passage. Je regarde à l'intérieur du bar, elle est surement à l'arrière où je ne sais pas trop où. Je m'en fous. Je débloque la serrure de la porte comme si je faisais ça tous les jours – c'est pas comme si c'était totalement faux, vu le nombre de fois où je viens le soir après qu'elle ait fermé – et j'entre.

Je m'installe sur un tabouret, posant mes bras sur le bras, attendant qu'elle revienne. Elle n'a pas l'air surprise, elle n'est jamais surprise. Elle pense certainement que je suis un humain comme les autres et qu'elle pourrait faire qu'une bouchée de moi comme elle peut le faire avec n'importe quel mec qu'elle a bouffé, mais non. Sauf qu'elle ne le sait pas, et je compte pas lui dire. En tout cas, pas avant que j'ai réellement pris la décision de la tuer. Elle me regarde dans les yeux et j'accentue ce regard avec un sourire joueur. « On est fermés. » me dit-elle avant d'attraper un verre, de le remplir de whisky et de le boire d'une seule traite. Mon sourire s'élargit. Comme si elle pouvait m'impressionner. « Et alors ? » que je lui réponds, avec un air légèrement nonchalant. C'est pas parce que c'est fermé que je ne peux pas rentrer. Même si ça semble plus logique que le fait que j'entre alors que juste, ce soit fermé. Ce que je dis là fait pas de sens, mais tant pis. « Et on peut savoir comment tu es entré ? T'es une sorte de cambrioleur-braqueur-traqueur de barmaid ? » qu'elle me demande, pas forcément intrigué. Se remplissant un autre verre au passage. Elle a au moins raison sur un point, on peut dire de moi que je suis un traqueur. Dans un sens, c'est ce que je fais avec elle, je la traque même si je l'ai déjà trouvé. Je veux en savoir plus sur son compte. Et je vais en savoir plus. « Peut-être que tu avais tout simplement mal fermé la porte. »